jeudi 9 septembre 2010

Nouvelles du Sénégal

On aura beau l’appeler « Yakar » (espoir en wolof) , Dakar est l’épicentre d’une certaine désespérance, sous les sourires aimables et la célèbre « Teranga » (hospitalité), la douleur du « petit peuple » n’a pas fini de se décliner, au fur et à mesure que se modernise le pays.

Les auteurs de ces Nouvelles du Sénégal décrivent des personnages hésitants, entre émigration fort risquée et chômage local endémique, désœuvrement rêveur et attachement aux repères culturels qu’heureusement le Sénégal a su garder. Les auteurs rassemblés dans ce recueil se répondent et s’interpellent, faisant état de la vivacité de la littérature sénégalaise, et soulignant entre autres la forte participation des femmes à la vie littéraire locale.

Nafissatou Dia Diouf raconte l’histoire d’une jeune fille, partie à la rencontre de son père en traversant le pays, la tête pleine de comptines d’enfance à l’arrière-goût colonial. L’enfant abandonnée cherche ses racines avec une obstination douce, passant de la nostalgie à l’espoir au cours de son voyage de la presqu’île de Dakar à celle de Saint-Louis…

Ken Bugul aborde, elle, la tradition des Maîtres de la Parole, ces griots dont les corps, autrefois, étaient enterrés dans les troncs de baobab. Ces arbres sacrés qui sont aujourd’hui coupés sans honte, d’après elle sont maintenant pleins de la rancœur sourde d’un peuple oublié, abandonné malgré l’Indépendance. Sur le précieux terrain de la mère de la narratrice, ont grandi au fil des ans les manguiers aux feuilles larges, les baobabs sacrés, qu’elle ne veut pas laisser couper car « un baobab tombe de lui-même ». Mais l’humain est bien plus fragile qu’un baobab, une jeune fille meurt tout à coup, d’une toux. Il est d’usage de ne pas se plaindre d’avoir perdu sa fille, sa sœur, mais de déposer sa Parole au creux d’un baobab, et on espère que personne n’aura l’audace de l’abattre.

Khadi Hane nous fait partager les pensées d’un fils de gouverneur chômeur, oisif cynique, un peu poète, à l’écoute des voix de la cour commune, partagé entre l’écœurement des faux-semblants, la colère contre le mariage forcé de sa sœur, l’envie de fuir vers l’Europe et ses rêves, et les femmes trop faciles. Il finit par découvrir l’amour tant attendu, le moteur suprême sans lequel la vie est insupportable, tout à côté de lui, et s’éveille enfin pour assumer son avenir et donc son présent pleinement.

Les voix de ces auteurs, dont la dureté n’est pas exempte de poésie et d’humour, ce qui la rend supportable et signifiante, donnent les éléments pour appréhender la culture contemporaine sénégalaise, dont les bases ancestrales n’ont pas été éliminées par la culture occidentale, pourtant en partie absorbée, intégrée, mais toujours dans la recherche d’un certain équilibre. La Teranga c’est aussi peut-être cela, accepter la culture de l’autre sans perdre la sienne propre, rester fier de ses bases mais ne pas fixer de hiérarchie culturelle. Accepter l’autre pour s’accepter soi-même, digérer le passer pour imaginer le futur et vivre le présent dans le calme et la douceur, garder le sourire et sa propre philosophie, ancré solidement dans sa Terre, latérite rouge et sable brûlant, à l’ombre d’un baobab regarder l’horizon, cet ailleurs qui ouvre l’esprit vers une aventure, une issue, qui bien que souvent fatale reste tentante. Mais partir ne saurait se concevoir qu’avec la terre natale collée aux pieds, à vie.


Laure Malécot

Source : culturessud.com

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